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M.Benzekri :« Maintenant c’est au gouvernement et aux autres acteurs de valoriser cet acquis »

La Vérité : Vous avez été témoin et acteur des deux phases de cette histoire des atteintes aux droits humains, quel jugement personnel vous portez sur le travail de l’IER ?

Driss Benzekri : en toute objectivité, je crois de l’Instance a fait un travail immense, à travers, notamment, l’étendue de la recherche effectuée et la documentation collectée sur l’évolution de la question des droits de l’Homme au Maroc s’étalant sur les 30 dernières années. Un travail de fourmis qui a été le fruit d’investigations, mais aussi de concertation avec les populations de manière générale, ainsi qu’avec les victimes elles-mêmes. Je pense, en toute mon âme et conscience, que tous les membres de l’Instance ont fait leur travail avec probité, célérité et objectivité en essayant de garder l’esprit en veille, face aux problèmes complexes qu’a connus l’histoire récente du Maroc. Sachant, bien entendu, la difficulté de la question de mémoire et tous les mythes qui ont été construits dans un cadre de black-out en termes d’information. d’autant plus qu’il fallait faire la part des choses entre les discours sur ces années d’une part et de l’autre sur ces réalités elles-mêmes.

Ce qui a également imposé de garder une veille épistémologique, méthodologique de tout ce qui se raconte, et en même temps travailler avec l’abnégation nécessaire, mais aussi un sens de la compassion avec toutes les personnes qui ont souffert. Certes, le temps qu’on a eu est relativement court, 23 mois, mais j’estime toutefois qu’il a permis de produire un travail formidable. Bien entendu, rien n’est parfait et je reconnais qu’il reste encore des choses à développer. Mais, cela est tributaire de l’avenir.

Vous considérez sur le plan technique qu’il y a, quantitativement, de l’inachevé dans le travail, vous n’avez pas pu recenser tous les cas, jeter la lumière dans toutes les arcanes de la période, mais l’ébauche n’en demeure pas moins importante...

Je pense que sur le plan de la micro-vérité, ou si vous voulez la vérité au cas par cas des violations, nous n’avons rien négligé, comme nous n’avons rien laissé dans l’ombre. Nous avons tout examiné. Il est vrai qu’au niveau des résultats, il y a encore des éléments à développer, Il n’en demeure pas moins que dans l’ensemble, le travail a abouti à des clarifications à des élucidations d’un large pan de cette partie de l’histoire du Maroc. J’estime, par ailleurs, que le travail de l’IER a permis d’ouvrir des pistes importantes pour l’avenir, de la même manière qu’il a établi la démarche à suivre pour résoudre le problème de façon définitive. Maintenant, sur le plan technique, comme vous le dites, relatif notamment à la lecture de l’histoire, je tiens à préciser que ce travail ne participe pas de notre rôle, d’autant que nous ne sommes pas des historiens. Surtout que quand on est confronté à des situations où on ne dispose pas d’archives, où la mémoire est tout simplement embrouillée, on est amené, par la force des choses, à ouvrir des pistes en se traçant un chemin dans le labyrinthe de l’histoire. ce qui est à même, à mon sens, de servir de tremplin pour des recherches ultérieures. C’est pour dire, en fait, que l’importance du travail accompli consiste aussi à ouvrir le débat, tout en brisant les tabous qui ont entouré cette partie de l’histoire du pays. Importance qui n’a d’égale que la recherche à impliquer tout le monde en vue d’une participation effective à une réflexion collective sur les années de plomb.

Ça serait un peu prématuré de faire le parallèle entre ce qui se passe actuellement en France, en ce qui concerne le débat sur une période de son histoire et cette question du Maroc, pour conclure qu’il s’agit d’une affaire d’ historiens et que l’instance, serait une forme de commission parlementaire, si elle n’était pas constituée par les témoins de cette même histoire ?

C’est en partie vrai. Seulement à l’origine il fallait des personnes impartiales, objectives, mais qui doivent aussi et surtout représenter toutes les sensibilités de la nation. C’est vrai, qu’en partie des anciennes victimes, des témoins de l’époque figuraient parmi les membres de cette instance. Mais, il n’a jamais été question qu’elles soient des membres principaux ou la composition principale de l’Instance. D’autant plus qu’il fallait un minimum d’équilibre. Le plus important était d’essayer de répondre aux missions principales qui étaient confiées à l’Instance, à savoir établir la vérité sur les violations, déterminer le contexte, le décortiquer et puis déterminer les responsabilités. L’objectif ultime étant de tirer les enseignements pour l’avenir. A ce niveau-là, je pense que l’Instance a contribué modestement à soulever des problèmes et des fondamentaux pour l’avenir du pays. En fait, contrairement à d’autres commissions, ce n’est pas une entité qui travaille en salon fermé pour pondre un rapport.

C’est-à-dire que tout ce qui a été fait pendant ces 23 mois, c’est au jour le jour des concertations et des débats publics. Or, il s’agissait pour nous d’un double processus. A la fois établir la vérité sur les faits et les contextes, et en même temps ouvrir le débat contradictoire et s’ouvrir au dialogue. Notre but n’était pas de fabriquer un récit consensuel sur l’histoire, d’autres commissions l’ont fait et ont échoué. Nous, notre but était en fait de proposer un espace de débat pour une lecture plurielle, parfois conflictuelle, mais qui pourrait être salutaire pour nous permettre de faire surgir dans le présent des valeurs communes, des valeurs permettant de vivre ensemble, bref, des valeurs pour le futur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons organisé des audiences publiques, des concertations dans différentes régions avec les intellectuels, les élites...

Cette procédure me paraît valable aussi pour des cas qui continuent d’empoisonner la transition démocratique, surtout l’affaire Ben Barka, dont la symbolique, et le poids historique sont considérables. Est-ce qu’on ne peut pas appliquer la même logique, en chargeant l’Instance d’une mission spéciale et d’initier un débat sur le sujet ici même au Maroc ?

Je partage votre avis. En ce qui nous concerne, plus particulièrement, nous avons traité de ce sujet, d’un point de vue conforme à notre mission, et il y a eu beaucoup de débat sur ce dossier précisément.

Mais, malheureusement, cela n’a pas pris l’ampleur qu’on aurait souhaité, à cause, notamment, des positions des acteurs les uns par rapport aux autres. Par ailleurs, nous avons soutenu la famille dans sa démarche, de même que nous avons poussé l’Etat marocain à faire la lumière sur le dossier. En rappelant, quand même, que la France avait une responsabilité fondamentale qui n’est pas terminée. D’autant que c’est là où le crime a eu lieu, c’est là aussi où les recherches devaient continuer et établir les responsabilités. Le fait que certains milieux profitent d’un dossier, tout à fait légitime, en l’instrumentalisant dans le seul but de critiquer le Maroc pose un vrai problème. Pour notre part, nous continuons à soutenir la famille Ben Barka, tout en ayant encouragé l’Etat marocain à procéder à la commission rogatoire. Toujours est-il que l’Etat français est appelé à enquêter de son côté pour éclaircir un certain nombre de zones d’ombres sur ce dossier. De ce point de vue, je pense que nous avons, à l’IER, déblayé le terrain, mais il n’en demeure pas moins qu’il reste encore des aspects que nous développerons par d’autres moyens.

Si vous pouviez en quelques mots nous évoquer les moments forts de ces 23 mois d’investigations...

Par rapport aux expériences « similaires » du monde, je pense que du début à la fin du mandat de l’IER, il y a eu l’engagement de Sa Majesté, très frappant mais qui n’a pas été suffisamment souligné, qui plus est a été couronné par la décision de mettre le rapport de l’IER à la disposition de l’opinion publique. Ce qui constitue une première dans le monde, qui doit être analysée, puisque cela invite toute la société à participer à ce débat. Et puis, il y a eu les enquêtes qu’on a faites sur le terrain, le recueil de témoignages de personnalités sur les dossiers sur lesquels on n’avait pas de documents officiels, sans oublier les audiences publiques, et puis des semaines et des semaines de débats publics dans les provinces sahariennes... Il faut dire que nous avons vécu des moments très intenses dans ce contexte. Et bien sûr, tout ce qui a été entrepris pour pallier au manque de documentations, ainsi que le travail accompli avec les universités pour faire des enquêtes et des monographies et des études sur tous les évènements importants qui ont constitué des violations. Résultat des courses, nous avons pu constituer des archives immenses pour la recherche dans l’avenir.

Ce rapport que le Souverain a tenu à mettre sous les éclairages publics, en quoi il avance la cause des droits de l’Homme en général au Maroc ?

Je pense que dans l’histoire récente des droits de l’Homme au Maroc, notre but était d’abord de faire la part des choses, de faire la vérité sur cette question douleureuse qui a été mal gérée pendant de longues années, sur la responsabilité pour les violations des droits de l’homme. Mais, il n’y a jamais eu un travail de recherche et de documentation. Maintenant, je pense que le Maroc dispose désormais d’un fond documentaire qui clarifie les contextes et les cas des violations des droits humains.


Au-delà de ces aspects quelles sont les mesures prises pour pérenniser ce travail... Est-ce qu’on va l’inscrire dans les manuels scolaires...

C’est important de soulever cette question, d’autant plus qu’elle est nécessaire pour clarifier. Mais, c’est vrai que les enseignements tirés de cette analyse et de ce diagnostic, nous a permis de faire des propositions concrètes sur le toilettage et la réforme du régime juridique marocain dans tous les domaines, et sur le plan institutionnel, de la gouvernance, sur la lutte contre l’impunité, sur l’éducation, l’école, etc. Déjà que Sa Majesté a ordonné que moi-même et M. le conseiller Meziane Belefkih, qu’au moment de rendre public les rapports, nous rencontrions le gouvernement, ainsi que les groupes parlementaires pour leur expliquer notre démarche et le contenu de nos rapports. Ce qui constitue une manière de sensibiliser autour de ces questions. C’est aussi, à mon sens, une manière d’impliquer toutes les institutions de l’Etat pour qu’elles puissent traduire ces rapports dans les faits, et les discuter sereinement. C’est pour dire, en fait, qu’il s’agit également d’une offre de débat, puisqu’ils soulèvent des questions importantes qu’il va falloir analyser et traiter sur le plan institutionnel et législatif.

Quant au cas précis de l’école, nous avons proposé une refonte des programmes au niveau des valeurs et des visions qu’ils véhiculent. C’est dire qu’à ce niveau aussi, il y a du travail à faire. Nous estimons par la même occasion que les jeunes générations doivent avoir un éclairage vrai sur l’histoire du pays, tout en sachant que cela est de nature à les aider à aller de l’avant. En fait, l’essentiel pour nous est de construire l’avenir et nous avons contribué modestement avec des propositions que ce chantier important conduit par SM le roi actuellement, puisse atteindre les objectifs escomptés.

Le gouvernement dispose-t-il d’une stratégie pour marqueter un tel acquis ?

Malheureusement, à ce niveau-là, le gouvernement ne dispose pas d’une politique de la communication, en tous cas pas de stratégie claire dans ce sens. Je dois dire qu’à notre niveau, nous avons développé des relations assez conséquentes, depuis le début, avec des décideurs au niveau des ONG internationales, des centres d’études académiques qui sont concernés et qui comprennent la valeur de ce mécanisme dans un pays comme le Maroc. Nous avons, à ce propos, un allié principal à New York, le fonds international de justice transitionnelle qui nous accompagne et que nous aidons, nous-mêmes, par notre propre expérience. Moi-même, je fais partie d’un groupe d’experts des Nations Unies sur cette question de la vérité. Dès lors, on a un très bon atout et qui a beaucoup servi l’image du Maroc, un pays qui marche, en mouvement et qui ne se complait pas dans ce cercle interminable de transition, mais qui réalise des refontes importantes qui vont être couronnées par une véritable consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit. Nous sommes, maintenant, en contact avec les Nations unies qui sont intéressées effectivement par l’expérience marocaine en la matière. Ce qui revient à dire que nous exportons notre expertise dans ce domaine. Et au niveau des différentes organisations internationales.

De même que nous allons organiser, bientôt, des rencontres dans différents instituts de recherche en Angleterre, au niveau de l’Union européenne et en Amérique. Nous espérons que de ce travail, le gouvernement puisse en tirer bénéfice pour l’intérêt de la nation. C’est le rôle du gouvernement et des différents intervenants de faire leur travail.

Propos recueillis par Abdallah El Amrani

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