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Les droits humains et l’Etat de droit

Au mois d’Août 1992 au cours d’une table ronde organisée par la Télévision Marocaine à l’occasion de la présentation du projet de révision constitutionnelle le professeur René Jean DUPUY décédé depuis une dizaine d’années, avait expliqué que ce texte représentait « un enrichissement de la notion des droits de l’homme à l’intérieur même de l’ordre juridique marocain par parallélisme avec l’évolution qui s’est déroulée sur le plan international ». Il relevait en effet que depuis la proclamation de la Déclaration Universelle des droits de l’homme en 1948 il s’était produit une évolution, « une croissance des droits de l’homme », qui avait peu à peu superposé en quelque sorte aux droits de l’homme « de la première génération, les droits civils et politiques, des droits de la seconde génération-droits économiques, sociaux et culturels, des droits de la troisième génération, droit à l’environnement, droit au développement » qui constituent la base fondamentale de ce que l’on appelle aujourd’hui les droits humains. Ce qu’il faut retenir et qui est fondamental c’est cet approfondissement qui implique que l’individu a désormais la possibilité de revendiquer des droits face à l’Etat non seulement des droits – libertés conformes à sa nature, mais aussi des droits à une vie décente indispensables à sa dignité.

Cette évolution a été marquée par des dates importantes sur le plan international :

- 1966 adoption par les Nations Unies des deux pactes consacrés respectivement aux droits civils et politiques et aux droits économiques sociaux et culturels.

- 1993 Conférence mondiale sur les droits de l’homme

- 1972 Déclaration de Stockholm sur l’environnement

- 1991 conférence de Rio consacrée au thème « Environnement et Développement » qui témoignent de la montée en puissance de ce mouvement qui touche l’ensemble de la communauté internationale et donc le Maroc.

Le Maroc a en effet connu une évolution identique qui l’a conduit depuis l’indépendance et l’adoption des ses différentes constitutions de la proclamation des droits fondamentaux que constituent des droits de l’homme puis des droits économiques et sociaux jusqu’à à la reconnaissance des droits humains par la fameuse disposition du préambule de la constitution selon laquelle le Royaume du Maroc « réaffirme son attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus ». C’est cette évolution dont que je vais sommairement présenter les étapes en soulignant leurs éléments les plus significatifs.

Il faut je pense commencer par une définition.

On peut avoir une conception large, globale des droits humains englobant les droits de l’homme les droits et libertés traditionnels ; on peut y ajouter les droits économiques, sociaux et culturels et enfin ces droits de la troisième génération que sont le droit au développement et à l’environnement sain.

Mais on peut aussi avoir une conception plus restreinte ou plus évolutive qui à mon sens colle mieux à l’évolution historique des sociétés et des système juridiques nationaux ; c’est cette conception qui permet de mieux de saisir à la fois l’apparition chronologique des droits attachés à la personne humaine et surtout de comprendre que l’effectivité de ces droits humains ne relève absolument pas de la même problématique et des mêmes traitements institutionnels que les droits de l’homme dans leur acception traditionnelle.

C’est pourquoi sans récuser la conception large j’utiliserai la conception restreinte, évolutive, pour mieux cadrer mon exposé sur une chronologie qui me parait mieux répondre à l’évolution politique et juridique qu’a connu le Royaume depuis l’indépendance même si les deux phases se chevauchent.

J’examinerai en premier lieu de la proclamation et l’effectivité des droits de l’homme dans l’Etat de droit (I) et dans un deuxième temps la proclamation des droits humains et leur construction dans le cadre de l’Etat de droit (II).

I) Proclamation et effectivité des droits de l’homme dans l’Etat de droit

La proclamation des droits de l’homme a sans doute été l’une des préoccupations majeures des autorités publiques au lendemain de l’indépendance (A), mais il est apparu rapidement que leur protection était très largement obérée par les vicissitudes de la vie politique mais aussi par les insuffisances des institutions (B).

A) La proclamation des droits et libertés (1)

L’aventure des droits et libertés s’est ouverte dès l’indépendance par la charte des libertés publiques du 15 novembre 1958 annoncée par Mohamed V dans un message du 8 mai 1958 en des termes qui méritent d’être rappelés :

« Nous avons tenu notre promesse et libéré notre pays.
Maintenant nous allons entreprendre votre émancipation. Nous allons garantir à chacun ses droits et ses libertés … Désireux de permettre également à nos sujets d’exercer les libertés fondamentales et de jouir des droits de l’homme nous leur garantirons la liberté d’opinion, d’expression, de réunion et d’association. Cette garantie n’aura pour limite que le respect dû au régime monarchique, la sauvegarde de l’Etat et les impératifs de l’intérêt général ».

Cette première étape va être rapidement suivie d’une seconde plus solennelle puisqu’il s’agit de l’adoption par le référendum du 7 décembre 1962 de la Constitution qui sera publiée le 14 décembre suivant.
La proclamation des droits et libertés occupe le titre premier précédé d’un préambule qui relie ses droits et libertés à l’ordre international dont on sait l’importance depuis la création des Nations Unies et la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Partie du grand Maghreb, Etat africain le Maroc « inscrit son action dans le cadre des Organismes Internationaux dont il est devenu un membre actif et dynamique … souscrit aux principes, droits et obligations découlant des chartes desdits organismes ».

Et le titre premier énonce les principes fondamentaux de la Constitution du Royaume, puis les droits politiques du citoyen et enfin ses droits économiques et sociaux.

Naturellement je ne vais pas énumérer tout cela mais il est cependant nécessaire d’insister sur certains points peut être plus fondamentaux que les autres : la prohibition du parti unique et la reconnaissance du pluralisme politique comme un droit constitutionnel constituait une affirmation remarquable dont malheureusement l’exemple ne sera suivi ni au Maghreb ni en Afrique pour nous en tenir qu’à ce continent.

Le principe de l’égalité qui est au fondement de l’Etat de droit ; de son respect dépend le respect de tous les droits.

Enfin le Maroc affirme sa nature monarchique, démocratique et sociale ; reprenant une distinction bien connue on observe que cette constitution présente deux aspects : en proclamant les droits de l’homme civil et politique elle se présente comme une constitution loi dont la mise en œuvre est sous la dépendance de la volonté et des décisions des autorités publiques.

En revanche en proclamant les droits économiques et sociaux droit au travail, droit à l’éducation, droit à la santé la constitution fait partie des constitutions programmes : l’existence de ces droits ne peut pas être assurée uniquement par le droit, et c’est une situation identique qui concerne à plus forte raison les droits de la troisième génération droit au développement durable et droit à un environnement sain.

Au cours des années ultérieures la constitution connaîtra plusieurs révisions qui confirmeront ces droits et libertés. Certes la révision de 1992 « réaffirme l’attachement du Maroc au droit de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus », mais comme on l’a fait observer on ne réaffirme que ce que l’on a déjà affirmé ! d’autant plus que le Maroc avait entre temps, en 1979, ratifié les deux pactes de 1966 par lesquels les Nations Unies développaient les droit civils et politiques ainsi que les droits sociaux, économiques et culturels proclamés en 1948.

En 1993 le Maroc a ratifié d’un seul coup les quatre conventions internationales consacrées à la protection de la femme, à la protection de l’enfant, à la prohibition de la discrimination raciale et de la torture.
En définitive le problème qui s’est posé au cours de toute cette période a été essentiellement celui de la protection des droits de l’Homme qui avaient été proclamés et c’est toute la question de leur effectivité.

B) La garantie des droits et libertés – la question de leur effectivité

Dans l’interview accordée à l’Hebdomadaire français « le Nouvel Observateur »publiée le 14 juillet 1999, Feu Hassan II reconnaissait que « dans les années tumultueuses et incertaines » qu’avait traversé le Maroc, il était advenu que la raison d’Etat « prévale sur les droits légitimes des individus ».

Je crois que cette formule résume en peu de mots les difficultés qui ont fait obstacle à l’effectivité d’un certain nombre de droits de l’homme en raison de ce que j’ai appelé les vicissitudes de la vie politique au cours des années 70 et 80 ( 1 bis ).

Mais ces difficultés ont été aggravées par diverses insuffisances institutionnelles qui ont été progressivement comblées.

Les insuffisances institutionnelles

Celles ci sont bien connues : l’absence d’un contrôle efficace des autorités policières et des dispositions protectrices des droits des personnes poursuivies dans le code de procédure pénale, l’absence d’un contrôle juridictionnel des décisions de l’administration, l’insuffisance généralisée dans les instances administratives d’une – culture des droits de l’homme – d’une culture de la légalité, sont les manifestations les plus criantes de ces insuffisances institutionnelles, la conséquence en a été un décalage de plus en plus visible entre le droit des codes, de la justice officielle et la réalité sociale, juridique et politique.

Ce décalage mettait en péril le système dans sa globalité c’est à dire la démocratie et l’Etat de droit qui ne peuvent s’accommoder d’une défaillance permanente d’une protection efficace des droits et libertés.
Ce danger a été parfaitement perçu par feu le Roi Hassan II peut être à la suite de l’émission « l’Heure de Vérité » enregistrée en public au Palais de Rabat où des questions d’une brûlante actualité sur les droits de l’homme ont été posées, quoi qu’il en soit il a engagé le Royaume dans une série de réformes destinées à assurer réellement la protection des droits et libertés afin que ceux ci s’inscrivent dans la réalité de la vie des citoyens.

Les réformes engagées

Dès 1992 et la révision constitutionnelle il est établi que le Maroc réaffirme sa volonté de respecter les droits et libertés universellement reconnus. Dans le même temps est créé le Conseil constitutionnel avec des pouvoirs et des mécanismes de saisine élargis par rapport à l’ancienne chambre constitutionnelle de la Cour suprême.

Sans doute jusqu’à aujourd’hui la Haute juridiction n’a pas eu l’occasion de statuer sur les droits et libertés en dehors du contentieux électoral ; mais c’est peut être surtout parce qu’elle n’a pas été fréquemment saisie d’une question concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois. Toutefois lorsqu’elle la été il semble qu’elle ait parfois préféré éviter le débat sur le fond au profit d’une argumentation fondée sur la forme (affaire du décret loi sur les paraboles) (2), voire accepter d’une façon contestable et que l’on peut qualifier de – contra légem- la rétroactivité d’une disposition de la loi de finance (3).

En 1990 dans son discours du 8 mai SM. Feu HASSAN II annonce la création des tribunaux administratifs et du Conseil Consultatif des Droits de l’homme.

Ces deux institutions ont joué et jouent de plus en plus un rôle essentiel dans ce que l’on peut appeler le rattrapage des mécanismes de protection.

Les tribunaux administratifs confortés aujourd’hui par les cours administratives d’appel et sous le contrôle de cassation de la Cour suprême ont fait faire d’incontestables progrès à la protection juridictionnelle des citoyens face à l’illégalité et l’arbitraire de l’administration. Ces Progrès sont à la fois quantitatifs et qualitatifs.

-La croissance des recours dont ces juridictions sont saisies et qu’enregistrent les statistiques de la Direction des affaires civiles du Ministère de la justice illustre mieux que tous les discours, la réussite de ces juridictions.

-Quant à la jurisprudence de ces juridictions je n’hésite pas à dire qu’elle est remarquable : je n’en donnerai que quatre exemples le premier que je cite ici à Marrakech concerne l’indemnisation par l’Etat des victimes d’actes de terrorisme sur le fondement de la solidarité nationale admise par la Cour suprême. Le second la consécration du principe d’égalité des citoyens devant les emplois publics et le rejet des recommandations. Le troisième la condamnation sous astreinte des autorités administratives qui refusent d’exécuter les décisions de justice revêtues de l’autorité de la chose jugée. Le dernier concerne la réaffirmation de l’existence du recours pour excès de pouvoir malgré un texte de 1919 excluant tout recours contre une décision administrative récusant ainsi l’argumentation de l’administration.

Depuis son avènement Sa Majesté Mohammed VI a poursuivi cette politique de « libéralisation » ; c’est toute la signification de la nouvelle conception de l’autorité qui ne concerne pas seulement tel ou tel ministère mais toute l’administration et pas seulement l’administration de l’Etat mais aussi l’administration locale ce qui revient à dire que la nouvelle conception de l’autorité implique une évolution sociale, un changement des mentalités afin de faire comprendre ce qu’est l’autorité : l’autorité ce n’est pas la subordination d’un individu à un autre c’est l’exercice d’une compétence d’une fonction dans le respect de l’individu, de ses droits, de sa dignité en vue d’une finalité qui n’est pas la satisfaction du détenteur de la compétence, de l’autorité, mais la satisfaction de l’intérêt de la collectivité il s’agit donc avant tout d’un problème de formation professionnelle et d’éducation civique.

A cet égard la création du wali al Madhalim en 2001 chargé de « redresser les torts » de l’administration envers les citoyens est une heureuse initiative ; de même le renforcement des moyens matériels et juridiques du Conseil consultatif des droits de l’homme en avril 2001 va dans le même sens.

La réforme dans un sens libéral du code des libertés publiques
notamment en ce qui concerne le droit d’association mais aussi la nouvelle loi sur la presse témoignent également de ce que cette orientation est définitivement entrée dans l’évolution du système politique et juridique du Royaume même si la rigueur des tribunaux à l’égard des délits de presse semble excessive au regard de la nécessité de donner à la liberté d’expression la place qui lui revient et le rôle de veille et de l’alerte qu’elle peut et doit jouer pour la protection des droits de l’homme et des droit humains. Une adaptation du code de la presse est sans doute nécessaire à cet égard et je crois qu’elle est vivement souhaitée par les intéressés ! Il reste qu’en contre partie les journalistes doivent respecter les devoirs élémentaires que leur dicte la déontologie de leur profession et qu’il leur arrive parfois d’oublier ainsi que le faisait observer le président Ahmed Herzenni dans un récent entretien (le Matin, 12 mai 2008, p.3)

En outre le souverain a été soucieux d’apurer le passé avec la création de « l’Instance Equité et Réconciliation », mais aussi d’ouvrir les portes de l’avenir par exemple en renforçant la protection de la femme et de la famille avec la réforme de la Moudawana.

Le nouveau statut des partis politiques (2006) devrait également inciter ces organisations à mieux assurer la mission qui est au fondement de leur justification : contribuer à une meilleure éducation citoyenne en liaison avec les organisations syndicales et les collectivités locales.
Toutes ces initiatives et ces réformes permettent de dire malgré les esprits chagrins prompts à s’indigner des imperfections inévitables que l’on peut relever ici ou là, que l’avenir est assuré surtout si l’on veut bien prendre en considération le très remarquable développement du phénomène associatif. Les associations se développent depuis une décennie après avoir été longtemps l’objet d’une sorte d’ostracisme de la part de l’administration ; or il est clair qu’elles doivent être encouragées et aidées car elles sont globalement des auxiliaires extrêmement précieuses pour l’action administrative et la protection des administrés à tous les niveaux et dans tous les aspects de la vie sociale malgré diverses insuffisances auxquelles il peut être remédié (4).

Pour être complet, autant qu’il se peut, je dois enfin évoquer le rôle de soutien des organisations internationales et régionales aux efforts entrepris par le Maroc pour renforcer la protection des droits de l’homme. A ce titre il faut consacrer une mention spéciale au Plan d’Action Maroc Union Européenne élaboré en partenariat entre le gouvernement marocain et l’Union Européenne dans le cadre de la politique européenne de voyage.

Ce plan approuvé à Bruxelles en décembre 2005 est entré en vigueur au début de l’année 2006 pour une période de trois à cinq ans. Il comporte de nombreuses actions qui concernent le sujet qui nous occupe : La démocratie et l’Etat de droit :

o aider les administrations à la mise en œuvre de la loi sur la motivation des décisions administratives, favoriser les efforts tendant à faciliter l’accès à la justice et aux droits par la formation des magistrats et du personnel des tribunaux, la modernisation des juridictions (5).

o Moderniser l’administration pénitentiaire, assurer une protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales conformément aux normes internationales, renforcer la protection des femmes contre les violences, veiller à la protection de l’enfance, des handicapés etc …

Le Maroc s’est ainsi résolument engagé dans cette voie comme vient d’ailleurs de le reconnaître le Conseil des droits de l’homme à Genève dont le groupe de travail chargé de l’Examen Périodique Universel a relevé les efforts fournis par le Maroc à cet égard même si en ce domaine rien n’est jamais définitivement acquis comme on vient de le voir avec la situation dans les prisons !

Ce plan comporte également toute une série d’actions qui concerne la politique de développement humain qui constituent le deuxième volet que recouvrent les droits humains. Les droits de l’homme se sont en effet enrichis avec l’apparition du concept de droits humains mais ceux-ci ne peuvent se concrétiser et atteindre l’effectivité que grâce à des politiques administratives qui n’ont de chances de succès que si elles sont soutenues, relayées par les acteurs de la société civile c'est-à-dire un réseau, un tissu constitué par les entreprises, les associations, les organisations professionnelles, le mouvement coopératif, les services publics autant nationaux que locaux, les universités et plus largement le monde éducatif etc…

Michel Rousset
Professeur honoraire et ancien doyen de la Faculté de droit de Grenoble
Président honoraire de l’Université des Sciences Sociales de Grenoble

Forum des droits humains –Marrakech les 6 et 7 juin 2008
Union International des Avocats (UIA) Association des Barreaux
du Maroc -Barreau de Marrakech

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